Pendant 5 mois, Ninon est venu une fois par semaine à mon cabinet -appelons-la Ninon-. Elle a 4 ans et demi, et je la rencontre alors qu’elle se trouve très angoissée à l’idée d’être séparée de sa mère :
- Les rituels du coucher sont interminables, et produisent entre la mère en l’enfant des difficultés relationnelles de plus en plus intenses.
- La mère de Ninon se plaint du manque d’autonomie de sa fille lorsqu’elles sont toutes les deux à la maison : « Elle me colle littéralement. Elle s’assoie régulièrement sur moi, comme lorsqu’elle était bébé ». Paradoxalement, les séparations à l’école se passe bien, et Ninon aime être à l’école.
- Ninon fait un cauchemar récurrent qui la réveille paniquée : la maison où elle dort s’envole dans les airs, et elle disparaît, alors qu’elle est dedans, allongée sur son lit.
Lors des séances d’exploration, je découvre que :
- Ninon a peur de perdre maman, seule figure d’attachement stable pour elle (sa mère est séparée du papa depuis 2 ans)
- Ninon est inquiète à propos de maman, et a envie de prendre soin d’elle (situation conflictuelle violente avec le père de Ninon)
Les différents symptômes ou agissements de Ninon sont à la fois :
- Une façon pour elle de conserver la dyade fusionnelle mère-fille, et de se rassurer
- Une façon de signifier un « appel à l’aide », et un besoin de protection. Je découvre en effet progressivement qu’elle se sent en insécurité avec son père, et vit de moins en moins bien les moments de garde paternelle.
Lors d’une séance mère-fille au cabinet, j’explore avec Ninon sa vision de sa famille, et sa façon de la vivre aujourd’hui. Le père vit à l’étranger, et « n’est que de passage », sans réelle prise en charge d’une garde encadrée. Il ne donne aucune pension alimentaire à la mère. Lorsqu’il vient voir sa fille, il prend une chambre d’hôtel, et ne donne aucune intimité possible à Ninon. Se rajoute à cela, des conflits permanents entre les parents, des intrusions et intimidations du père.
Je comprends les ressorts de l’insécurité de Ninon et explore avec sa mère sa capacité à donner plus de cadre et de sécurité, en donnant des repères légaux et des aides possibles à l’encadrement des droits de Ninon et de sa mère.
Je choisis ensuite de travailler à donner à Ninon une réassurance quant à la stabilité du lien maternel, même lorsqu’elle décide de s’éloigner de sa mère de sa propre initiative et sans contraintes. Mon intention thérapeutique est de lui permettre d’intégrer que l’exploration du monde extérieur à sa mesure de petite fille est possible, qu’il est source de joie et d’apprentissage de ses capacités et ressources.
Pour cela, rien de mieux que des séances en nature. Je lui propose le lieu le plus proche de chez elle : le jardin des plantes à Toulouse.
Nous entrons toutes les trois dans le jardin public en fin d’après-midi, après la sieste de Ninon. Je propose à la maman de choisir un banc confortable pour elle, où elle pourra lire tranquillement. Ce banc va nous servir de point d’ancrage, un peu comme l’histoire célèbre du jeu de la bobine de S. Freud.
Je propose à Ninon d’effectuer tranquillement un parcours suivant le tracé d’une marguerite : chaque chemin de nous prenons dessine un pétale de la fleur, et revient au point d’ancrage, le cœur de la fleur, le banc de maman. Nous réalisons ainsi 9 parcours d’exploration au total. Nous alternons ainsi les notions suivantes :
- « Tout près de maman », si près que nous pouvons la toucher,
- « Près de maman », même à distance, car nous pouvons la voir,
- « Là-bas », où nous allons,
- « Loin de maman », la distance qui nous cache la vue de maman, et nous donne accès à autre chose à découvrir
- Et « le retour vers », où progressivement nous pouvons de nouveau voir maman, tout en profitant de ce que nous apporte le jardin
La répétition permet l’apprentissage, rassure Ninon qui crée des repères en elle. Cela devient ludique, comme lorsqu’elle avait un an environ, et qu’elle pouvait comme tous les enfants jouer au « coucou -caché ». Elle comprend en dessinant cette « marguerite » avec son corps en mouvement, qu’elle peut s’amuser à « perdre » maman puisqu’elle sait qu’elle va la retrouver. Je lui fais remarquer, lorsque je vois qu’elle s’amuse bien, que nous pouvons aussi considérer que c’est elle qui s’amuse à aller se cacher puisque maman lit tranquillement sur le banc. Que c’est elle qui bouge et joue avec moi qui l’accompagne.
Cette mise en mouvement dans le jardin des plantes permet de bénéficier sensoriellement de toute l’exploration possible de la nature environnante. Ninon connaît déjà ce parc, ou plus exactement, l’espace dédié aux jeux d’enfants : balançoire, toboggan, etc. Je lui propose ici de s’arrêter sur :
- Les carrés de fleurs, leurs couleurs et leurs senteurs, ainsi que les insectes qui peuvent s’y poser
- Les majestueux arbres anciens, que nous pouvons contempler, toucher, les oiseaux et leurs chants tout autour
- L’herbe, où nous pouvons y gambader pieds nus
- Les fontaines et jeux d’eau
- Le petit pont du jardin japonais, qui enjambe un plan d’eau avec les nénuphars
Je l’invite à utiliser tous ses sens, tout en faisant avec elle, afin de profiter au mieux du lieu et de pouvoir l’imprimer en elle, comme si elle pouvait s’en faire une photo à l’intérieur.
Alors que nous exécutons la dernière boucle du parcours, et que maman n’est pas visible, je lui propose de s’assoir un instant à l’ombre d’un grand arbre, dans l’herbe. Je lui propose de jouer un instant toutes les deux à cet emplacement précis. Elle me propose immédiatement de jouer avec la comptine suivante :
« Dans sa maison un grand cerf
Regardait par la fenêtre
Un lapin venir à lui
Et frapper ainsi :
« Cerf, cerf, ouvre-moi !
Ou le chasseur me tuera !
– Lapin, lapin, entre et viens
Me serrer la main. »
Ce que nous faisons avec plaisir. La thérapeute en moi note avec attention ce choix, qui sera repris et travaillé lors d’une séance en cabinet. Puis, nous clôturons la séance en allant retrouver maman sur son banc.
Cette séance itinérante au jardin des plantes restera unique. Dès les jours suivants, Ninon, plus apaisée et plus rassurée sur ses ressources internes, a d’elle-même trouvé la juste distance avec maman, et les rituels du coucher ont été plus doux et plus calmes. Nous avons alors poursuivi le travail sur son besoin de protection lors des moments de garde paternelle. La mère ayant progressivement créé un cadre plus sécurisant et plus protecteur, Ninon a pu exprimer le fait qu’elle ne souhaitait plus pour l’instant « aller à l’hôtel avec papa », et un autre mode de visite a été demandé.
Vivre une situation en mouvement, dans un milieu ouvert et naturel a permis à Ninon de traverser ses angoisses, et de créer en elle de nouvelles perspectives.
C’est une des raisons pour lesquelles l’école des petits en forêt existe.
Une « forest school » est une école ou un centre aéré en forêt où les enfants passent toute la journée dehors dans la nature, et ce toute l’année. Le phénomène est né au Danemark et la pédagogie par la nature gagne du terrain partout dans le monde. Il existe plus de 3000 « forest schools » en Europe, dont 2000 en Allemagne. En France, il y en a seulement une trentaine, mais la révolution verte arrive !
En plus des bienfaits pour la santé physique et psychique, cette pratique fait baisser le stress et l’anxiété et aide les enfants à mieux gérer leurs émotions. Ils sont aussi plus autonomes et ont plus confiance en eux, ce qui est fondamental pour l’adulte qu’ils deviendront.
Amel DESCAMPS
Titulaire du Certificat Européen de Psychothérapie
Hypnothérapie et psychothérapie
Enfants, adolescents, adultes, familles